marseille sous la lune |
Il
avançait en scrutant la surface polie des pavés, le béton du trottoir, y lisait
des équations invisibles pour le passant ordinaire, filait les indices,
interrogeait la pierre, le goudron, le béton, le bois. Il y avait eu -et il y avait inévitablement de l’amour ou
de la douleur, usés par les passages répétés. Il y en avait la marque dans l’air, dans
l’épaisseur du bitume. La rue parle à qui sait l’entendre et il la comprenait
magnifiquement bien!
Il
cherchait des réponses dans la pénombre taciturne. Un bonnet noir enserrait le
sommet de son crâne où veillait un cerveau en perpétuel mouvement : une
machine à penser et quelque chose d’étrangement indépendant de lui murmuraient
sous sa voûte crânienne. Ici dans sa rue, un chant mystiquement formé montait
en lui. Une rengaine inlassablement répétée rythmait sa quête.
Ça
sentait les baisers, les pleurs, les confidences d’amoureux, les cris de
l’abandon. Il humait. S’il savait le demander, le pavé lui confierait sa
mémoire. Le trottoir ferait à nouveau résonner l’empressement de la fuite ou le glissement rapide de pieds,
les uns contre les autres serrés. La porte s’ouvrirait lentement conduite par
des mains qui se voulaient discrètes ou bien hurlerait sa douleur sous la
violence du bras qui la frappe. Et le silence éclaterait dans le vacarme
étourdissant de la plainte ou de la fête.
Une chose
racontait la vie qui avait coulé. Des voix retentissaient encore remplies de
rires. Le bois était chaud des épaules qu’il avait soutenues, parlait de sa
chevelure brune. Il l’effleurait du bout de ses doigts, plongeait ses yeux dans
la texture serrée de la matière. Elle chuchota. Ses fibres résonnaient. Une
voix féminine vibra enfin libérée de sa vie de porte.
Et là.
Sur les dalles grises du sol. Un bruit furtif presque inaudible ! Le son
devient plus clair, s’affirme peu à peu dans le souvenir… Le claquement retenu
d’un talon. Des pas impatients de rencontrer d’autres pas. Encore lointains. De
plus en plus prés. Une course légère comme une danse. C’est elle !
Sûr ! La pierre se confie, livre son secret. La danse se double d’un autre
tempo : son plus lourd, plus profond, enfoui dans la dalle grise. Un jeune
homme se hâte. Lui!...Rencontre furtive.
Ils
étaient jeunes. Dix-sept ans, dix-huit peut-être. Lèvres contre lèvres
farouchement assemblées. Corps contre corps. Amours enlacés. Violence des
jeunes étreintes. Vertige. Fusion. Respirations syncopées. Puis plus ample et à
pleins poumons. Ton souffle se mêle au mien. Dans les yeux le passage d’un
grand ciel bleu. Silence.
Promesses :
« A demain ! … Pour la vie ! … Nos noms gravés ! … On ne se
quittera jamais !»…
Sourire ou pleurer ?
© texte propriété Joel Carayon
© texte propriété Joel Carayon
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