mercredi 18 mai 2016

Ma ville

Il faut te perdre dans la profondeur et la majesté des ruelles d'ombres que traversent des pans de lumières déchirés par le branchage léger de quelques pins. Ma ville grouille de ce mélange de campagne et de voix mais toujours respire le calme voluptueux, la délicate fragilité d'une musique douce, avec dans son port une pointe de mélancolie.
Je voudrais te dire que je l'aime même si elle est méchante dans ses nuits de beuveries ou quand une folie de meurtres s'empare d'elle sous la lune surprise. Je voudrais te dire que je l'aime même quand elle se répand fumeuse et orgueilleuse dans mes bois d'haleine fraîche.
Je voudrais te dire fièrement, voilà Ma Ville dans son habit de lumière sous son ciel pur d'un bleu tranchant avec ses avenues gorgées de nos passages réguliers, Ma Ville dans son habit de lumière- et ses excès d'ozone.
Avec sa misère qui flotte cachée dans les impasses de nos vies, ses pleurs, ses sanglots dans nos appartements, avec ses voix qui explosent, ses chants d'allégresse, ses fêtes, le flot de mes semblables qui court, danse, crie, rie, parle, bavarde, dit des mots d'amour, des mots de tous les jours, des paroles creuses, des mensonges et des songes qui la rongent, l'assaillent nuit et jour. Et puis les chuchotements, les murmures sous les lampadaires jaunes. Avec ses temples, ses cathédrales consacrés à la pratique consumériste, étalant leurs offres rutilantes à des yeux pleins d'une ferveur quasi religieuse.
Ma Ville avec ses clochards, leurs chiens, leurs chants sur sa grande place et ses allées de platanes verdoyants, l'étrange rondes des dealers et de leurs clients sous le parvis d'une église.
Avec ses essaims de jeunes qui bourdonnent à la terrasse des cafés, s'aiment, se rassemblent, se retrouvent, se touchent la main, déambulent dans leurs costumes de jeunes .
Et la clameur qui résonne, rebondit de façades en façades, éclate d'un rire joyeux, se mélange à l'accordéon roumain, la guitare classique. Toute la musique de la rue.
Ma ville avec ses attroupements de hip-hop, ses mendiants qui prennent la pose d'une infini tristesse professionnelle, son fou qui joue devant la foule des passants comme dans un concert, avec ses femmes qui ondulent dans ses rues aux regards langoureux, avec ses clandestins qui rasent ses murs à la nuit tombée, avec ses drames et ses dames de compagnies, ses tristes travestis, ses vieux et leurs orages de fin de vie.
Je voudrais te dire que je l'aime. Je voudrais te dire que je l'aime quand elle fait la belle devant les files de touristes, quand elle danse intellectuelle au mois de juin, quand elle s'affiche dans ses Festivales avec sa foule qui bestialement avale des litres et des litres de vins, se soûle allègrement sous les flonflons de quelques musicos en mal de contrats. Mais le pourrais-je ?
Je l'aime quand elle se penche sur mon épaule tendrement posée sur son rail et qu'elle glisse silencieuse vers la mer, je l'aime quand elle sourit et se met à rêver sous le couvert de ses allées, je l'aime quand il fait chaud et que ses enfants lui tendent la main, je l'aime quand elle se pare de ses bijoux nocturnes, expose sa gamme de concerts en sous bois, je l'aime quand elle s'endort paisiblement derrière ses volets fermés, je l'aime quand les autres sont couchés, que ses maisons me parlent, que ses monuments s'agitent quand minuit sonne, quand nos voix gambadent de portiques en portiques, quand ses cinémas s'éteignent, qu'il ne reste plus que toi, qu'il ne reste plus que moi à rêver de cette ville qui n'existe pas, de cette ville éparpillée dans de multiples villes et qu'un soir je construits pour toi, pour moi, ni trop belle ni trop sale pour qu'elle est l'air bien en chair.