jeudi 11 février 2016

Fraternité



Il est là dans son état d'homme. Belle, elle donne et lui reçoit, elle bonne et lui mendiant, dans son image l'amour et lui dans son reflet le manque, cruel dénuement de la main qui frissonne et compassion gracieuse dans le mouvement du bras, son prolongement dans le regard, dans la naissance d'un sourire de haut en bas, de celle qui marche vers celui qui est assis et qui lève les yeux vers le bras, le regard puis le sourire. Il prend la compassion et son expression, dit merci de sa bouche qui s'étire, elle prend ses yeux qui brillent d'un surplus d'humidité, elle prend le symbole des lèvres, elle prend le désarroi, l'inclination légère de sa tête, le soulagement passager frère de son geste.
Mimétisme. Cosmologie profonde où le miroir répond au miroir et de leur reflet réciproque naît la reconnaissance. J'existe voit-il, je suis homme voit-elle. Un éclair d'humanité dans l'évanescence de l'instant. Une éternité si le lien s'accomplit dans l'authenticité du sentiment.

lundi 8 février 2016

Poésie

Poésie

Une voix dans un téléphone ? Non un souffle profond, quelque chose comme une présence, la mémoire d'un outre temps, une pensée qui s'infiltre, un mouvement ample au creux de l'oreille, une respiration des ombres avec des mots à modeler, simplement la brise d'une vie à renouveler.

Une voix dans un téléphone ? Non un pont entre des mondes, un passage par où se rejoignent le père et son fils, l'espoir d'une réconciliation nouvelle, la foi presque religieuse née d'une compréhension mutuelle.

Un vœu ou une promesse ? Non sûrement une utopie...


vendredi 5 février 2016

"La foule des différences se presse"




Dans le cadre des Vases communicants 2016, j'ai le plaisir d'accueillir un texte d' Alice Scaliger,  le texte que j'ai moi même écrit figure sur les carnets d'Alice. C'est le principe des Vases communicants initialisé par François Bon. On écrit chez son hôte et réciproquement.

Nous avons choisi comme thème un logogramme de Christian DotremontC'est le premier en dessous : le cri cru
 




Voici maintenant le texte d'Alice Scaliger. Bonne lecture.

Le cri cru crée un labyrinthe. On s'y perd facilement. Cuit, recuit, mijoté, le cri se sert plus facilement : on peut le mettre dans une assiette, poser des couverts, plier une serviette dans un verre propre; bref, le cri cuit est plus facile à faire digérer à son entourage. On explique; on civilise. Cri cru : mouvement de rage. Je n'ai pas été en colère depuis décembre. Je n'ai pas envie de me fâcher, en ce moment. Il y a peu de brusquerie en moi. J'ai beau aller à la pêche des colères intérieures, je n'en ai pas. Je ne peux pas inventer une fausse colère, une humeur qui n'existe pas. Il coule de la douceur, presque de la mollesse, et un goût pour la contemplation, dans mes veines. C'est une soupe à la betterave additionnée de crème fraîche.

C'est pourquoi je lis Aristote.
Tous les hommes désirent naturellement savoir ; ce qui le montre, c'est le plaisir causé par les sensations, car, en dehors même de leur utilité, elles nous plaisent par elles-mêmes, et, plus que toutes les autres, les sensations visuelles. En effet, non seulement pour agir, mais même lorsque nous ne nous proposons aucune action, nous préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir le plus de connaissances et nous découvre une foule de différences. Aristote, Métaphysique, A, 980a, Trad. Tricot, Ed. Vrin. Et je prends plaisir, le rose de la betterave en moi, à lire, et à savourer Aristote. C'est un légume-racine. Je me sens légitime dans ma contemplation. Cri-cru. Bibliothèque des représentations. Arbre des idées, qui classe et repose. Goût du regard.
La foule des différences se presse. Elle prend le tramway. Les gens sont aussi différents que les fruits et les légumes. Ils ont toutes les couleurs, des formes étranges, se meuvent comme des nuages. La plupart sont cuits. Et puis il y a un petit bonhomme que je regarde (comment son cri n'attirerait-il pas l'attention?), hurlant, trop chaud dans sa combinaison trop grande, tout rouge, cassant les oreilles de toute la rame, pas encore civilisé. C'est la betterave initiale. On reprend tout à zéro. Cri-cru.


jeudi 4 février 2016

Attendre

Anja Klauss
La mer chante sa rengaine que la plage boit de tous ses grains de sable. Il fait encore noir, il fait encore sans bruit, juste le crépitement irrégulier d'un clavier. Attendre, attendre un réveil, son réveil dans une pièce vide d'elle, entre des murs et des meubles où elle n'est pas encore là. C'est l'heure immobile. Les corps sont encore en sommeil mais il ne manque rien, tout est à sa place, il faut simplement qu'elle se réveille.

Je suis là posé sur un fauteuil l'esprit verrouillé sur elle, l'oreille tendue surveille l'étage, le bol aussi et la tranche de pain grillé et le café qui retiendra son arôme jusqu'au moment où… et la lumière à peine visible de l'extérieur qui guide la maison-bateau dans le noir d'une fin de nuit.

Rien ne respire librement. Il manque une voix qui sonne comme un éclat de soleil, il manque une parole banale comme bonjour mon … je n'ose espérer le mot qui devrait venir après ce mon…

Il viendra la danse des mots, la radio et ses infos, il viendra ses bruits de pas, il viendra la lumière, la vraie celle d'un matin déjà haut placé dans son ciel. Le soleil, il me faut mon soleil...il faut couper cet arbre qui me gâche le réveil d'hiver. Puis les bruits d'eau, puis le silence puis l'arôme du petit déjeuner jusque dans sa chambre et tous les deux sur le lit à goûter ce matin et son café, ses tartines beurrées.

La maison s'étirera, s'ouvrira au monde, secouera son couchage, la maison et sa chanson de petite cuillère qui tinte sur la paroi de la tasse avec le chant du café qu'on verse, le pain qui craque dans la bouche, le beurre qui fond avec la confiture dessus. Le moteur s'emballe, le jour s'affaire, oublie le matin, la nuit le sommeil, l'attente. Les affaires courantes courent, on ne les rattrapera pas toutes, les rires se mêlent aux déceptions, les disputes à la tendresse.

Le soir. Déjà ? Son feu de cheminée à la braise rouge, ses flammes trop à l'étroit dans leur prison de fonte et d'acier puis la chaleur, la fatigue, les corps en demi veille avachis sur le canapé, la télé et son blabla du soir et la nuit et les yeux qui se ferment, les mains qui se serrent, les corps qui s'enlacent.

Une part de lune, une mer et sa rengaine, une maison clôt ses paupières… Il fait nuit, il fait sans bruit...