lundi 27 avril 2015

scène maritime

photo ibdl9999
Elle dandine son croupion à peine recouvert d'une étoffe  et ça fait mater les keums les yeux arrimés à ce bout de tissu négligemment posé sur deux fesses rondes à point et ça fait mater le monde deux jambes longues et leurs cuisses dodues juste ce qu'il faut et ça fait gamberger les mâles et ça fait bomber les torses et ça donne du volume aux braguettes et ça chauffe sous les capots et ça fume dans les cervelles - les vraies, celles qu'ont pas l'habitude de penser et qui supportent mal la pression rien que d'imaginer ce petit cul à l'air, rien que de rêver à la valse maritime des deux jumeaux en sous tif.





diltoo.com

Faudra vidanger sous peu sinon le bouchon va sauter et ça la fait sourire la petite sur ses pilotis, la petite allumeuse qui tangue de la joue bâbord à la joue tribord. Ses hanches se démontent et la tempête approche, faudra qu'elle réduise sa voilure la petite chaloupe, faudra qu'elle décroche son spi sûr, peut-être même qu'elle affale son bout de foc à la ceinture, faudra peut-être qu'elle cramponne le gouvernail et qu'elle louvoie entre les rafales, la petite... 



www.defense.gouv.fr


mais mais les gars de la marine ne sont plus ce qu'il étaient, ils sifflent un tantinet matent matent jusqu'à se faire péter les mirettes mais sont passés à la lessiveuse – essorés les mecs au pompon rouge, ils savent la loi, le harcèlement et les petites voix des supérieurs enflent dans leurs oreilles. 











Tant pis la petite en sera quitte pour une mélodie platonique. Dans son regard la nostalgie de vrais matelots à quai qui sentent fort le tafia et le coup de poing, des aussi fins que du gros sel avec dans la tête un vide océan mais dans le bas cerveau de quoi satisfaire la curiosité d'une jeunette en petite voilure avec un appétit de trois mâts !

Texte, © Joël Carayon

samedi 25 avril 2015

Bonheur.


Bonheur.
Luë, forêt de pins © Radio France - 2013

Ma pinède, 
ses pins qui montent comme des ratures, 
son souffle de dedans, vers moi qui le recueille. 






photo : Leonardo Amaro Rodrigues


Bonheur.

Aujourd'hui je n'ai pas eu mal,
aujourd'hui je n'ai pas eu faim,
je n'ai pas été seul,
je n'ai pas eu de folies ni fait de crises.





Texte, © Joël Carayon 

vendredi 17 avril 2015

Putain suis vieux


Photo Andrea Eusebi
Putain suis vieux !
Ce matin ça m'a pris comme un mal de chien.
J'ai pris de l'âge comme on prend une claque, d'un coup d'un seul et quand on est subitement vieux on attrape de la cataracte, on ne voit plus clairement son avenir qui du coup devient sombre et au bout, noir comme dans un four. La cataracte c'est terrible !

J'ai pris de l'âge comme d'autres prennent la fuite ou se réfugient dans l'oubli. Je sais bien que c'est presque pareil la fuite, l'oubli mais quand on s'enfonce dans la vieillesse, la mémoire prend l'eau et le monde s'enfouit. Il ne reste que l'oubli parce que ça flotte, parce qu'il n'y a rien dedans et que c'est plus léger que l'eau. Parce que, parce que toutes les raisons sont bonnes pour s'excuser de prendre l'eau.

Putain je suis vieux mais quoi d'étonnant, je prends de l'âge et je finirai par me noyer dans un océan de chagrin d'être condamné à l'attente d'un lendemain sans rien, et rien conjugué au passé simple ou composé, c'est toujours rien.

Ainsi sommes nous faits nous les hommes qui vivons en bonne société , nous les hommes civilisés qui condamnons le vieux à se faire vieux même s'il voudrait rester jeune d'esprit et vivre d'un avenir plein de vie, avec ses rides et ses fuites de cerveau.

Faut dire qu'entre eux, les vieux s'encouragent pour finir vieux. Untel ne va pas mieux c'est son cœur qui s'essouffle et Machin s'enfonce dans un silence blanc mais bon ce n'est pas le Mont Blanc. Truc Chouet n'a plus toute sa tête, sa vie lui en a pris la moitié, Tartempion n'est plus un lion, il traîne les ans et leurs casseroles et ça fait du bruit quand il se déplace, en ambulateur.

Allez encore une cachet pour la route on est presque arrivés.

Texte, © Joël Carayon

mercredi 8 avril 2015

Bagnoles

http://www.franceinfo.fr/liste/embouteillage
Les ram' des trams raillent les roues des voitures,
les grues gorgées d'orgueil promènent un long bec en bleu d'arrogance,
les marteaux pilons pilonnent et défoncent infatigablement.

La bagnole roule, et déroule ses roues
dans des rues aux trottoirs encrassés de gomme.

L'air boit le carbone,
l'auto le nez dans l'cul de celle de devant,
l'auto lâche ses gaz.

Et midi bouchonne, klaxonne, s'énerve.
Midi dans ses veines d'asphalte sclérose,
midi au bord de la crise cardiaque
midi palpite noir.

STOP

photo Midi Libre


Le genre, genr' humain
le genre s'affaire, le genre s'agite,
genre gesticule, genre s'agglutine, genre coagule,
vide et remplit le bus, bourr' débourre le tram,
gonfle puis dégonfle le ventre de l'auto
engorge la place, encrasse l'artère, empeste la ville.

La nuée bourdonne et couvre l'espace,
la nuée à l'assaut des tables de resto, des comptoirs de bistro,
des champs vierges d'hommes,
terres trachées tranchées d'où la ville coule
par de larges flaques d'un béton rugissant.

STOP.

Je prends une boule pour l'oreille gauche
je prends une boule pour l'oreille droite
et je coupe le son.
C'est bien plus rigolo de voir le défilé
dans un grand film muet.

Texte, © Joël Carayon

mardi 7 avril 2015

Sourire

Poème de Jean Gelbseiden
 
C’est une pauv’ âme presque nue
dans l’quartier du coin d’la rue
au regard près d’ l’ hébétude
affaissée sur sa solitude.

Tout près d’elle une bouteille
dernier compagnon d’chaleur
qu’elle serre jalouse contre son cœur
à l’abri des passants sans oreilles

Et sans plus d’yeux d’ailleurs
pour conjurer l’malheur
de cette exclue d’la première heure

Elle a quasi plus faim
cette pauvresse
qu’aucune parole ne berce

Elle a quasi plus d’dents
dont elle puisse mordre
le monde qui passe indifférent

Elle a quasi plus d’seins
plus d’rêves de mère…
donner son lait quand on a rien ?

Elle n’a plus d’gants
ni plus d’chaussures
et plus d’ses doigts que des eng’lures

Enfin pus rien qui soit du jour ;
elle ne vit plus que dans l’espoir
d’un passant qui daigne la voir
avec aux lèvres un mot d’amour
avec au cœur du réconfort
qui l’aide à s’batt’ contre la mort

Sans doute alors qu’ du chaud l’envahirait
et qu’ l’appétit lui r’viendrait…
que sur sa bouche édentée
ses lèvres s’entr’ouvriraient
pour nous faire voir qu’il y a bien pire
que d’avoir enfin envie d’sourire


lundi 6 avril 2015

P'tit gars

- Le ciel était noir devant mes yeux, trop noir. Et vivre assis sur un trottoir froid, froid de la manche, froid des passants, froid des regards qui se ferment comme des portes de prison, c'est pas vivre !
Avant j'étais maçon, artisan maçon mais ma petite entreprise, mon bébé a fait faillite. J'ai tout perdu et beaucoup de moi s'en est allé à la dérive.
De glissades en glissades, de porches en perrons, d'années en années, de petits boulots en petits boulots, la peau s'endurcit mais à l'intérieur la mémoire pleure la vie perdue. Et me voilà sur le rebord de ce pont, vagabond moribond. En dessous de moi le noir comme en dessus. Le noir de l'eau sous le pont où coule le froid de mon reflet.

Je me suis dit :

-A quoi bon , un pas tu sautes et c'est fini ! A quoi bon vivre sans personne à aimer ni à qui penser, à quoi bon si c'est juste pour mendier… et si je meurs qui me regrettera. Je laisse rien derrière moi. Allez.

J'étais prêt pour le dernier round quand ce « P'tit gars » s'est amené…

L'habitant du quartier :

- Je le vois tous les jours devant la porte de mon immeuble quand je rentre ou je sors, qu'il pleuve ou qu'il vente. Avant il était tout seul et maintenant avec son « p'tit gars » comme il dit. Ah ça l'a bien changé cette rencontre, il a tout le temps le sourire c'est à peine croyable, et toujours poli avec ça, même si les passants sont pas sympas.

Un jour je sais pas pourquoi, j'ai pris ma journée et je suis allé le voir. Je devais faire quelque chose, impérativement. Je l'ai trouvé au même endroit avec son petit carton posé devant lui : « 1 pièce ou quelque chose à manger pour tous les deux s'il vous plaît ». C'était un jour glacial. Ils se réchauffaient l'un contre l'autre, les yeux remplis d'une affection profonde et presque désespérée. Je lui ai demandé : on peut se parler ?...

Ce qu'en dit « P'tit gars » (autant qu'on puisse l'imaginer) :

- Il était là sur le rebord du pont. Dans son odeur j'ai flairé l'envie d'en finir. Alors j'ai fait ce que nous autres les errants savons faire. Je l'ai attrapé par son pantalon et l'ai tiré en arrière pour qu'il perde l'équilibre et saute, mais du bon coté de la vie. C'est ce qu'il a fait. Ses yeux m'ont dit merci, sa main m'a offert son dernier cookie. Depuis on ne se quitte plus. Deux à la rue, deux sans collier, deux pour se faire chaud au corps et au cœur. On dort l'un contre l'autre, serrés jusqu'à mêler nos souffles, mélanger nos odeurs, jusqu'à nous sentir un. Il faut bien ça, les nuits sont brutales ici...

L'habitant :
- Je lui ai demandé :"On peut se parler ?" Il m'a regardé avec dans le regard l'interrogation méfiante de celui qui sait ce que vaut autrui mais qui se donne le droit d'être agréablement surpris.

- Oui, bien sûr on peut se parler mais pourquoi. Au mieux je suis quelconque au pire dérangeant sale et même dangereux. T'as pas peur ? Tu veux peut-être redorer ton auréole de bon chrétien, t'alléger du poids d'une petite culpabilité bien gênante qui traîne sur ta conscience toute propre, bien repassée. Et ce foutu SDF en bas de chez toi ça fait sale. C'est pas beau la pauvreté, la misère hein ?

-Il m'a dit tout ça dans un léger sourire et j'ai répondu : Non, non enfin c'est pas tout à fait faux non plus je suppose mais c'est pas le vrai motif. Vous êtes là tous les deux et vous avez l'air heureux, dans vos yeux l'image d'une belle satisfaction, dans vos corps une sorte de plénitude quand moi je m'en vais le matin dans la grisaille, l'oeil morose et la bouche amère. J'ai mon petit chez moi, mes amis, une petite vie bien réglée, confortable, douce, sans surprise. Je sais où je dormirai, ce que je mangerai, je sais qui viendra me voir. Vous sans bride sur le cou avec l'inquiétude de l'heure qui vient, du soir, de la nuit, du qu'est ce qu'on va manger, quelle soupe populaire, que sais-je encore, moi habillé d'un beau collier avec sa laisse en cuir douillet. Enfin le cliché quoi ! Mais surtout l'affection, l'amour dans vos yeux. Je suis jaloux de ça.

-Bla bla bla, bla bla bla. Le clochard céleste et les poches crevées puis la liberté toute belle, nue dans nos bras d'hommes libres. J'ai pas choisi la rue. Elle m'a pris un point c'est tout, elle m'a recueilli et elle me tient avec rudesse. Elle m'enserre et c'est elle qui couche avec moi sur le trottoir, pas les étoiles. Enfin qui couchait je devrais dire. Pa'c'que ç'a bien changé quand même avec « P'tit gars ». Un jour que j'étais plus bas que les autres jours dans mes chaussettes, je me suis mis debout sur le parapet de ce pont au milieu des gens qui passent mais qui ne voient rien de la vie des autres et ne veulent rien en voir. J'ai regardé l'eau qui coule sans rien voir elle aussi, il y avait au fond mon reflet qui filait dans le courant. A quoi bon je me suis dit et j'ai failli sauter mais ce « p'tit gars » s'est mis à aboyer puis m'a attrapé par le bas du pantalon et m'a tiré vers lui du coté de la vie. Depuis on ne se quitte plus et on ne se quittera jamais. Et je sais que son désespoir ajouté à mon désespoir ça fait pas un énorme désespoir mais un peu de chaleur même quand il fait froid, un peu de bonheur même quand il fait un grand malheur dans nos vies. Et à tous les deux on est presque heureux mais presque seulement. Un bonheur dur comme du béton, cruel comme un trottoir, violent comme la rue. Un bonheur de SDF court et sans lendemain peut-être.

Je sais pas ce qui m'a pris – la conscience sûrement, l'émotion, la culpabilité, le partage qui sait : il y a aussi des motifs nobles, j'ai pris un bout de papier au fond de mon sac, cherché un stylo, un stylo à l'époque du portable... où j'ai bien pu fourrer ce bic... et y en a du barda là dedans. Pas là, pas là ni là non plus … ah c'est pas trop tôt !
J'ai écrit mon nom et mon téléphone sur le bout de papier, je l'ai plié en quatre et l'ai glissé sous le collier du « P'tit gars » en disant à son compagnon humain.

- S'il t'arrive quelque chose, je m'occuperai bien de lui, promis.


 Texte, © Joël Carayon