Ce matin ça m'a pris comme un
mal de chien.
J'ai pris de l'âge comme on
prend une claque, d'un coup d'un seul et quand on est subitement
vieux on attrape de la cataracte, on ne voit plus clairement son
avenir qui du coup devient sombre et au bout, noir comme dans un
four. La cataracte c'est terrible !
J'ai pris de l'âge comme
d'autres prennent la fuite ou se réfugient dans l'oubli. Je sais bien
que c'est presque pareil la fuite, l'oubli mais quand on s'enfonce
dans la vieillesse, la mémoire prend l'eau et le monde s'enfouit. Il
ne reste que l'oubli parce que ça flotte, parce qu'il n'y a rien
dedans et que c'est plus léger que l'eau. Parce que, parce que
toutes les raisons sont bonnes pour s'excuser de prendre l'eau.
Putain je suis vieux mais quoi
d'étonnant, je prends de l'âge et je finirai par me noyer dans un
océan de chagrin d'être condamné à l'attente d'un lendemain sans
rien, et rien conjugué au passé simple ou composé, c'est toujours
rien.
Ainsi sommes nous faits nous les
hommes qui vivons en bonne société , nous les hommes civilisés qui
condamnons le vieux à se faire vieux même s'il voudrait rester
jeune d'esprit et vivre d'un avenir plein de vie, avec ses rides et
ses fuites de cerveau.
Faut dire qu'entre eux, les vieux
s'encouragent pour finir vieux. Untel ne va pas mieux c'est son cœur
qui s'essouffle et Machin s'enfonce dans un silence blanc mais bon ce
n'est pas le Mont Blanc. Truc Chouet n'a plus toute sa tête, sa vie
lui en a pris la moitié, Tartempion n'est plus un lion, il traîne
les ans et leurs casseroles et ça fait du bruit quand il se déplace,
en ambulateur.
Allez encore une cachet pour la
route on est presque arrivés.
Texte, © Joël Carayon
Texte, © Joël Carayon