Je
suis faite d'un ventre pour recevoir et donner la vie. Entre mes
hanches et ma taille la matrice des hommes aujourd'hui et demain
encore. Je suis fière. En moi la trace de l'univers et sa vibration
plus forte que les battements de mon cœur, une connexion avec un
tout que je ne connais pas mais j'en suis sûre la plénitude
accompagne ma gestation. Je sens le murmure de la vie qui grandit.
Dans
ma main aujourd'hui et contre mon épaule à fleur de joue – noire
ou kaki pour l'homme, rose pour moi, l'arme de combat. J'ai peur je
tremble, mon index se glisse sur la détente se fige je ne peux pas.
Mais j'ai envie. Pourquoi. J'ai la vie dans mon ventre en puissance
et la puissance de la mort contre mon épaule contre ma
joue, contre mon ventre contre la vie la vie contre la mort doucement
câline, mais j'ai envie et la vie me tire vers la mort mais je ne
tire pas, mon ventre se crispe mon doigt se fige, je ne peux pas.
Ma
joue à fleur de la crosse ma joue contre la joue de mon bébé. Je
lui donnerai mon sein je lui donnerai la vie je le nourrirai je le
chérirai il grandira contre ma chair, je donnerai. J'ai peur je
tremble mon doigt sur la détente mon doigt sur sa lèvre mon regard débordant d'amour mes yeux dans ses yeux,
le silence des mots mon œil dans le viseur la balle dans le canon le
doigt sur la détente la mort au bout. Pour l'instant je vise, pour
l'instant je tire pour le fun pour l'ivresse du jeu pour la
palpitation du cœur, la mort rôde et je m'habitue au bruit sec que
j'imagine sans l'avoir encore jamais ressenti .
Mon
index sur la détente, la crosse logée au creux de l'épaule. La détente. Une simple
pression. Oublier une fraction de fraction de seconde, débrancher, faire taire la mère ; une simple pression, il n'y aura
pas de résistance, la gâchette est douce obéissante , elle frémit
sous mon index, se love dans son creux, se blottit comme un enfant
qui cherche la chaleur de la main de sa mère, il n'y aura pas de
résistance, pas d'aspérité où l'esprit puisse s'écorcher, le doigt
glisse sur le métal, le coup, le
claquement sec, la cible de carton, l'odeur de poudre, la chaleur
acide du métal Newtown. Vingt enfants de CP gisant.
Je
donne la vie, je donne mon sang je donne mon ventre, je donne ma
chair, je donne mon amour je donne mon temps je donne mon sein je
donne ma chaleur je donne mon cœur, je donne la mort le bruit sec la
douceur de la détente, la délicatesse du recul vertige de la
puissance, je donne la mort je donne la vie je donne.
Mon
premier tir, mon premier amour mon premier baiser, mon premier bébé,
ma première fois, toute première fois, mon premier tir ; je
pourrai donner la mort aussi.
La loi des armes. ARTE |
Texte, © Joël Carayon
Vraiment pas mal du tout !
RépondreSupprimerJe n'accroche pas à toutes les images véhiculées, mais je reconnais que la tonalité d'ensemble est vraiment réussie. Particulièrement la note finale. Pour une première lecture de vos textes, je suis heureux.
merci
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