jeudi 4 décembre 2014

Je parle tout seul

Je parle tout seul.



Quand on me surprenait dans ce dialogue avec moi même, étrange pour le passant dont l'oreille traîne dans les parages, j'avais honte et je rentrais ma voix dans mes pensées. Maintenant je me suis aperçu des avantages de l'avancée dans l'âge, je parle à haute voix, pour elle et pour moi-même également, tout seul ou pas. Je « répapi » comme dirait Mô-mon-amie-celle-que-j'aime-et-qui-me-sourit, ce qui signifie : « il radote, c'est l'âge ». Mes proches ironisent, me taquinent avec plus ou moins d'affection, ça dépend de leur âge.



Moi je continue à parler tout seul, de plus en plus d'ailleurs et sans aucune retenue maintenant. Le nombre important des années que j'accumule m'y autorise. J'ai des excuses. Je parle tout seul et j'aime entendre ma voix résonner en mon fort intérieur, lorsqu'elle remplit ma gorge de ses sons jusqu'en haut de mes poumons. Je suis en vie. Je pleure, je ris, je ricane sur mes cordes vocales. Je vibre en contrebas de cette petite clochette suspendue au milieu du palais qui doit s'agiter violemment quand je crie ou que je suis en colère et qu'on appelle d'un joli nom je trouve, luette, petite grappe suspendue que je rince abondamment du jus d'un raisin fermenté appelé vin (rouge de préférence et du cru local bien entendu).

Je disais, j'aime m'entendre parler tout seul au fond de moi-même d'une voix qui remplit discrètement l'air de la pièce mais vit peureusement cachée dans cette caisse de chair que je lui loue bien volontiers, ma « cage thoracique ». Cage ne me plaît pas. Elle n'est pas prisonnière du tout et s'envole quand elle le veut, libre comme l'air que je respire, et qui l'anime aussi il faut bien le dire.

Nous cohabitons en bonne harmonie. Elle vit en moi, se nourrit de moi. Ma voix, ma ? Je ne sais pas. Suis-je son propriétaire ? Si je pense « cette voix », si je lui laisse faire sa vie, elle s'attache. Que pourrait-elle faire sans moi, sa corporéité. Comment pourrait-elle s'épanouir. Elle m'appartient comme je lui appartiens. Deux en un corps. Ma voix claire ou rauque avec ou sans la rudesse du froid, la rouille d'hiver, le passage d'alcool, de colère, de l'amour ou de l'âge sur ses cordes... 


Suite


Elle n 'a pas toujours bien porté mes paroles. Jeune voix coincée entre l'enfant et l'adulte, hésitante dans ses intonations. Entre exclamations enthousiastes et interrogations inquiètes il fallait qu'elle se place. Le pouvait-elle. Moment délicat où la fenêtre est étroite et se faire entendre si difficile. 

Deux mondes se séparent, l'appel irrésistible des sons d'une ère nouvelle, ses mots et la musique d'un rock tout jeune qui se cherchent avec elle.. Ouverture sur un avenir radieux et déjà les blessures qui l'éraillent. Cohabitation incertaine. Voix du jeune âge, voix de lycée. Dans son logement, mon larynx, déjà les entailles d'un passé que le présent ravive. 

Premiers voyages en terre d'adolescence où elle et moi nous nous sommes mêlés à d'autres voix contemporaines. Premières fêtes aussi belles qu'un jour de Noël. Musique d'un accordéon déjà usé ignorant encore qu'il allait en mourir. 

Les premières intonations féminines et leur corps qui nous attirent, première danse, première taille que l'on serre, le parfum, la chevelure épaisse où l'on se niche le temps d'une chanson. 

Gestes maladroits et ma voix n'est pas là pour porter les mots qu'il faut, je ne les connais pas. Qui me les aurait appris ? Peu importe. Premier, premier premier un seul mot pour tout dire. 

Musique et filles, le rock, la pop, les filles, toujours les filles, les études un peu. Ma voix s'est affirmée doucement, a trouvé son timbre et le corps qui l'abrite se stabilise. 

Un jour elle a parlé, et nous avons accosté la voix et le corps de femme. Paroles terribles, mots qui marquent au fer rouge, ma voix brûle crie en sa demeure mais mon corps ne portera pas cette parole venue de ses entrailles...
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire