On
disait de moi : quelle gentille fille, comme vous en avez de la
chance. J'étais fière et je voyais dans les yeux de papa, de maman
les néons de la récompense clignoter. C'étaient de bons parents.
Maman me serrait contre elle et papa me regardait avec le
tressaillement d'un amour sans bornes.
Je
disais bonjour monsieur, bonjour madame,
je
disais s'il vous plaît madame,
merci
monsieur, bonne journée monsieur.
Et
les adultes fondaient comme glace au soleil.
J'étais
polie, joliment aimable, bouche en cœur,
douceur candide d'une innocence bien cultivée.
douceur candide d'une innocence bien cultivée.
Je
ne mettais pas mes coudes sur la table,
mangeais de tout un peu,
je
levais la main haut pour porter la fourchette jusqu'à ma bouche
que
je fermais pour mâcher muette.
Et
les passants à mes parents :
mon
dieu la belle enfant.
Mes
parents étaient de bons parents.
Se
laver les mains avant de passer à table,
se
laver les mains quand on a touché la terre,
la
poignée de la porte des toilettes,
et
la main de ma grand-mère.
J'ai
grandi.
Aujourd'hui
je trie mes déchets, la poubelle orange, les papiers et les
journaux,
il
doit rester zéro
et
tous les jours je mange bio, bio tous les jours.
Aujourd'hui
papa et maman ne sont plus là pour me dire ce qui est bien.
Mais
je me débrouille.
Je
dis
black,
blanc, beur
SDF,
sans travail.
je
dis bonheur la bouche en cœur,
je dis joie et amour,
je
dis dieu un peu mais toujours avec ferveur,
je n'ai jamais un mot plus haut que les autres.
J'ai
fait des études, fait mon droit, mon bon droit,
suis
avocate maintenant et parle comme il se doit,
comme
il se doit que je parle
quand
je défends la veuve et l'orphelin,
l'opprimé
et le déprimé,
le
délinquant et les escrocs,
tous
ceux qui ne font pas les choses comme il faut,
comme
il se doit qu'on les fasse
parce
que papa et maman ne leur ont pas appris comment il fallait faire
comme il faut.
S'ils
l'ont fait ils ne l'ont pas fait comme il fallait sinon leurs
enfants ne seraient pas délinquants ou bien ils ont tout fait comme
ils devaient faire mais leurs enfants n'ont pas écouté.
Ils
ont choisi le chemin des quartiers,
des
mauvais quartiers où l'on nique ta mère,
l'on
se la joue chelou, avec des yo et yes,
où
l'on parle avec l'air méchant et les gestes qui vont avec wesh wesh,
parce
qu'ils sont des gens bien comme il faut dans ces quartiers comme il
en connaissent,
pas
plus méchants que moi
avec
mes s'il vous plaît,
mes
merci,
eux
avec leur yo et yes dedans ces quartiers où dit-on , on ne fait
plus de quartiers,
ces
endroits remplis de jeunes comme il se doit quand on vit là où ils
vivent….
Là,
j'en
ai vu un qui faisait la honte de ses parents parce qu'il ne parlait
pas comme il faut.
Et
les parents étaient tout dépités, dépités d'avoir un fils pas
comme il le faut
et
les gens qui passaient, savaient qu'ils avaient fait tout ce qui
était dans leur pouvoir pour corriger le black mouton,
et
les voisins disaient pauvres parents c'est dur d'avoir un fils pas
comme il faut
qui
dit bonjour, bonsoir, merci au revoir,
tous
ces mots des mauvais quartiers
où
l'on se drogue,
où
l'on se bat,
où
les enfants sont dans la rue jusque très tard,
les
enfants des quartiers sombres, pour ne pas dire…
cet
enfant a grandi, mal tourné, tout le temps fourré dans d'autres
quartiers,
son
père et sa mère ne sont plus là pour se désespérer mais lui ne
s'en plaint pas.
Il
me dit même qu'il se porte mieux avec des mots choisis,
des
mots des quartiers où j'ai grandi,
des
mots qu'il a adoptés,
qu'il
dit avec respect parce qu'il a appris à les aimer,
et
moi qui les savais tous, les prononçaient soir et matin comme un
robot
je
ne les reconnaissais pas quand c'était lui qui leur donnait la vie.
Alors
j'ai épousé ses mots avec la robe qu'il leur avait modelée et on
s'est marié dans toutes les langues avec tous les mots bien pensants
ou non, choquants ou non, avec les mots de tous les quartiers et avec
bonheur aussi.