Il paraît que l'on assiste à une "révolution" aussi exceptionnelle que l'invention de l'imprimerie et du livre. Internet et le numérique ouvrirait un espace d'une nouveauté inouïe avec des répercussions inimaginables. Un changement de civilisation rien que ça!. Des hommes -fous ou visionnaires?- à la tête de Google, d'Apple etc. chantent la venue d'un nouvel homme, homme augmenté de la puissance de la machine. Nous vivrions trois cents ans et plus. L'éternité serait à notre portée disent-ils. De nouveaux acteurs les GAFA (Google, Amazone, Facebook, Apple) sont plus puissants que beaucoup de nos nations. Bref ce changement me dépasse, moi vieil homme du vingtième siècle avec un pied dans le vingt et unième mais pas au delà bien sûr...
Je
suis
vieux ,
mis en bord de plage,
le regard
au couchant tourné vers
les nouvelles galères qui
quittent
ce rivage
avec à leur bord la dernière génération. J'ai tord,
m'ont-ils dit...
– Tord
papy, trop vieux pour comprendre, tu as peur quand nous sommes
d'accord, nous partons pour le nouveau monde, nouveau tu comprends,
comme nous, nouveau comme eux, nouveau. Ils l'ont voulu, ils l'ont
fait, nous les suivrons, nous l'habiterons, adieu papy. Adieu la
maladie, adieu la mort, adieu le corps, adieu les hommes. Les Gafa
l'ont fait, nous les suivrons, nous l'habiterons.
Je
voulais la chair, la fragilité, la précarité du temps, le recours
à la mort, la foi dans l'homme, le défilé des heures, l'enfant,
l'adolescent puis l'homme et après le vieillard, je voulais ce temps
qui vous fait si peur mes enfants, je voulais le froid qu'on n'aime
pas, la pluie que l'on ne commande pas, je voulais des saisons, un
été qu'on espère et nous rend gais, un hiver qui nous enferme,
nous emmitoufle et nous dévoile la chaleur de nos lèvres. Je
voulais le soulagement d'un monde supérieur qui nous mène, nous
malmène, je voulais des montagnes par dessus nos âges, un au-delà
que l'on espère ou non et que l'on craint, je voulais un corps à
dompter, je voulais un homme faible un homme que l'on explore dans
son humanité, un amour qui nous enveloppe puis nous quitte sans un
geste ni une parole, je voulais des machines asservies... Vous voulez
un genre genre nouveau genre, un homme augmenté de vos rêves de
puissance, machine homme, pc homme, mac homme, nano-homme de titane et
de chair mais vous enterrez le possible que le corps dans sa mort
fait naître, je prends le pari disait Pascal et de rajouter :
pour ce qu'il me coûte je suis gagnant. Nous prenons le numérique
dites vous.
Adieu
papy, meurs puisque tu le souhaites. Au néant, l'homme né
poussière. Devant toi le genre genre nouveau quitte la plage, la
pluie et le froid, le temps qui te dépasse, la fin qui te guette, et
les lendemains qui nous déchantent. Nous choisissons un tiens qui
vaut mieux que deux tu l'auras, la proie mais pas son ombre, la vie
mais pas le risque du néant, la vie augmentée, l'éternité
numérique contre l'hypothétique au-delà, l'éternité que nous
construisons, que nous maîtriserons. Adieu mon papy.
Mon
enfant tu lâches une ombre pour une autre...
C'est
mon ombre Papy. L'ombre d'une nouvelle illusion ? Peut-être
mais la nôtre Papy, La Nôtre. Tu me manqueras mais ton avenir me
fait peur, je ne peux plus aimer tes rides, ton corps que le temps
raidit, tes absences, l'effacement qui te guette, tes muscles que je
sens si frêles. Tes souvenirs quittent ton navire, tu vas sombrer
mon papy et je vais pleurer ; mais je suis ton prolongement
n'est ce pas mon papy, je suis tes yeux nouvellement ouverts pour que
tu regardes par dessus mon épaule les jours après les tiens, je
suis la voix qui te portera par dessus la mort éternellement mon
papy, je suis la main que tu as guidée jusqu'à ce rivage sans que
tu le saches, je suis la jeunesse qui suit ta vieillesse, je suis ton
devenir... Mais il n'y aura pas d'après moi, pas de couchant pour
moi, je suis un phénix de Gafa, Gafa m'a voulu ? Gafa m'a eu,
mon âme contre une éternelle jeunesse, le contrat, le pacte de
Gafa. L'âme ? Papy un vieux rêve des hommes, je ne suis déjà
plus de la même race que toi, dans mon sang du nano, sous mes yeux,
contre mon tympan, la puce et son réseau, adieu papy je vais au
Cloud où les étoiles sont sur toile. Et tes amours faut il qu'il
t'en souvienne coulaient sous la Seine… les miens se connectent,
s'acheminent dans nos machines, circulent sur des milliards de voix.
J'aime mon ami le robot, l'homo connecticus dirais-tu. Le pacte papy
me fait éternelle branchée, matrix est mon amant aux milles
visages. On télécharge mon cerveau. Adieu papy tes larmes sur mes
yeux, ma peine sur ton cœur mais demain ne t'appartient plus. Ton
soleil s'éteint... Adieu mon papy...
Souviens
toi… les moulins qui tournent dans le ruisseau, ta main impatiente
et malhabile puis ta joie dans le geste précis et sûr… le sommeil
qui surprend l'enfant au soir d'une longue marche, les ombres sur le
mur blanc, les monstres qui s'agitent sous la brise nocturne, le
dragon noir sur fond lunaire, le cri d'une chouette, la voie lactée
au dessus de nos têtes émerveillées, la nuit des étoiles filantes
allongés dans l'herbe les yeux tournés vers là haut, et ce concert
de grillons… ton premier vélo quand je te soutenais, allez, allez…
encore encore... et ton envol, ta joie de pédaler, ta première
chute, ton genou ensanglanté, ta peur, tes pleurs ou tes cris, un
baiser sur la blessure, la formule magique, la douleur envolée les
rires retrouvées, l'envie de continuer. Tes questions, tes pourquoi…
toi
et moi main dans la main... la fable... Souviens toi... les animaux
d'Afrique... les troupeaux d'Antilopes dans la savane... les lions
autour, le jeune curieux qui s'en écarte un peu, regarde-le,
maintenant observe l'oeil de la lionne, les muscles se tendent,
répondent présents et le petit est déjà mort, mort avant sa mort.
Toi aussi, reste dans le troupeau ou méfie toi du prédateur,
souviens toi : il n'y a pas pire tueur qu'un dictateur... un
homme plus fort que le troupeau et l'on crie : voilà le lead !
Cet homme, ce guide, ce Titan, ce Gafa, le troupeau l'a nommé, le
troupeau l'a voulu, le troupeau l'a choisi, le troupeau le suivra, le
subira, librement assujetti, denrée qui s'ignore denrée, denrée
qui se pense libre, libre ?
Et
toi, avec eux : Eternité ! Eternité dis tu… quel
éternité pour l'Ephémère, quelle éternité pour la fourmi,
quelle éternité pour la mer, le monde, l'univers… vivre cent
années deux cents, trois cents ou plus ? Voir plus loin
n'est pas voir plus clair. La mort n'est pas pressée, elle attendra
le temps qu'il te faudra, le temps que tu réclameras : ton éternité
rallongée à chaque génération s'il le faut, peu importe pour elle
l'instant recouvre ton pseudo éternel... Adieu donc mon enfant...
n'oublie pas tout à fait ton grand-père, son monde de chair fragile
et précaire… d'une autre fragilité, d'une autre précarité que
celles que tu vas te fabriquer... adieu mon enfant… A jamais...