Je
m'étale sur ma plage fidèle à mes galets et dans la lumière crue,
les silhouettes habituelles toujours aussi trans, trans-sexuelles,
transformées. De belles hommes en tenue d'Eve, de beaux femmes en
costume d'Adam. Beaux mecs à cul arrondis bronzés de haut en bas
sans une tâche de blanc sur la peau, le blanc pur n'est pas très
mode. Sous le grand lampadaire ils palabrent, avec la mer à côté
qui les écoute à peine et continue son gazouillis habituel de
vagues en vagues.
Offert
à la cuisson de juillet je les vois sous mon bras, moi qui bronze
hétéro côté pile-côté face, l'amateur versus les pros. Y a pas
photo. Ils déambulent dans les coulisses de la plage derrière le
rideau des tamaris maigrelets. En creux leurs corps sur les herbes
couchées. La ronde dans l'indifférence feinte. Mais bel homme, ton
regard trop longtemps fixé sur la ligne bleue de l'horizon te
dénonce, tu scrutes, tu cherches l'âme seule, ta compagne. C'est le
marché dans l'arrière boutique. Sur le plateau au ras de l'eau le
mannequin s'expose, se laisse toucher du bout des cils. La pose
soignée, le soucis du détail. Pas un poil sur ces peaux noircies.
La mode est au lisse. Statues de bronze aux muscles travaillés en
salle.
J'aime bien les observer. Le plus
souvent par petits groupes ou seul aussi, ça arrive. Et puis cette
touche gracile dans le mouvement, ce coté délicat même quand ils
débordent de muscles. Leurs affaires bien rangées dans le petit sac
à dos ou un sac tenu à la main, toujours esthétique pas le machin
plastique du supermarché du coin, faute de goût impardonnable,
voyons. Leurs gestes de tendresse : la main qui effleure , le
regard soutenu, la proximité des corps dans l'eau. Ça me surprend
toujours un peu et je me sens souvent légèrement mal à l'aise,
très légèrement, pas plus allons. Mais je ne dis rien, je reste
parfaitement digne, le regard nimbé d'un zeste de détachement :
Voyons, je suis très ouvert mon cher. Je les trouve plutôt sympas,
discrets la plupart du temps – ici du moins.
Mais
il y a aussi ceux qui tapinent sous l'aqueduc millénaire, se
plantent sous le réverbère, s'affichent à vendre, à louer
quelques minutes, une heure, pour la nuit. Agencés manière de dire
: admire la caisse, regarde les cuisses. Elles sont pas belles mes
cuisses et mon teint de tante ? Et qui sait, ta tristesse
planquée sous le rimmel, qui coule après la fête . Avec ta
belle perruque blonde, tes longues bottes de sept lieues. A vendre, à
louer, une heure ou deux. Avec sous le fard une plainte camouflée.
Je
te vois dans mes phares quand je rentre au foyer. Sous ton
lampadaire. Transformé. Tu dis rien, tu restes planté sur ton bout
de trottoir, figé, juste des yeux que la lumière dure accroche au
passage. Tu es heureux, autant ou moins que ta copine femme hétéro
sur le trottoir d'en face ? Qui s'arrête pour te demander
combien ? Dame Nature tu les as trompés, t'as truqué la
marchandise ? Ces hommes, ces femmes tripotés, trafiqués,
bricolés chez le chirurgien qui compte, encaisse. Le malheur des uns
contre le bonheur des autres. Plasticien es-tu musicien des corps ou
artiste du portefeuille ?
© texte propriété Joel Carayon
© texte propriété Joel Carayon
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