Monsieur
B nous a quittés.
C'est
écrit sur le tableau mural à l'entrée de l'immeuble. Il ne me
parlera plus de sa carrière militaire ni de sa clarinette et de son
orchestre de jazz, au temps où il était jeune. Je ne sourirai plus
captivé par la danse de sa langue qui profite du bavardage pour
montrer son bout rose à la commissure des lèvres.
Je
ne verrai plus mon vieux voisin ni son épouse, petite femme brune
les yeux étincelant de vie. Elle est tombée un jour et ne s'est
plus tout à fait relevée. Les pompiers sont venus. Monsieur B était
plein d'une grande inquiétude. Sa bosse avait légèrement grandi ce
jour là. La bosse dans le dos où il rangeait ses ailes d'ange, je
suppose. Et je suppose aussi qu'elles avaient très envie de se
dégourdir un peu les plumes, de battre l'air et même de gagner le
Royaume des Anges.
Le
royaume, qu'est ce que je dis, moi ! Le Royaume comme si le
Royaume des Cieux existait, non bien sûr ! La République des
Cieux, la République des Anges bien sûr, cela va de soi !
Ce
jour là, je me souviens, le vieux monsieur courait – si l'on
veut, dans tous les sens. Il ne savait plus à quel saint se vouer le
pauvre ange quand sa petite brunette assise par terre en attendant
les pompiers, regardait autour d'elle le royaume des hommes avec
l'étonnement de quelqu'un qui n'est plus tout à fait d'ici. Elle
est partie sur un lit blanc, dans la voiture rouge des pompiers
emportant avec elle la main et un gros morceau du cœur de son vieux
mari.
Elle
est revenue un beau jour sur son lit blanc, comme une étrangère et
mon vieux voisin s'occupait d'elle autant que ses jambes, ses bras,
sa tête et tout le reste pouvaient le faire à l'âge que tous
partageaient. Soir et matin, il montait les escaliers vers le paradis
et s'arrêtait un peu avant sûrement. Il les descendait aussi.
C'était un peu l'enfer pour lui. Son épouse restait chez eux entre
ciel et terre en attendant de choisir. A-t-elle choisi assez vite ?
C'était urgent et difficile : laisser son mari et toute une
vie à deux ici bas ou bien partir pour un ailleurs de brume.
A-t-elle choisi à temps ? Mon vieux voisin a usé tout le reste
de sa vie dans les escaliers. Ses ailes d'ange se sont enfin
déployées et il les a accompagnées dans la République des Anges
où il séjourne maintenant parmi les héros anonymes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire