Dans
le cadre des Vases communicants 2016, j'ai le plaisir d'accueillir un
texte d' Alice Scaliger, le texte que j'ai moi même écrit figure sur les carnets d'Alice. C'est le principe des Vases communicants initialisé par François Bon. On écrit chez son hôte et réciproquement.
Nous avons choisi comme thème un logogramme de Christian Dotremont. C'est le premier en dessous : le cri cru
Nous avons choisi comme thème un logogramme de Christian Dotremont. C'est le premier en dessous : le cri cru
Voici maintenant le texte d'Alice Scaliger. Bonne lecture.
Le cri cru crée un labyrinthe. On s'y perd facilement. Cuit, recuit, mijoté, le cri se sert plus facilement : on peut le mettre dans une assiette, poser des couverts, plier une serviette dans un verre propre; bref, le cri cuit est plus facile à faire digérer à son entourage. On explique; on civilise. Cri cru : mouvement de rage. Je n'ai pas été en colère depuis décembre. Je n'ai pas envie de me fâcher, en ce moment. Il y a peu de brusquerie en moi. J'ai beau aller à la pêche des colères intérieures, je n'en ai pas. Je ne peux pas inventer une fausse colère, une humeur qui n'existe pas. Il coule de la douceur, presque de la mollesse, et un goût pour la contemplation, dans mes veines. C'est une soupe à la betterave additionnée de crème fraîche.
Le cri cru crée un labyrinthe. On s'y perd facilement. Cuit, recuit, mijoté, le cri se sert plus facilement : on peut le mettre dans une assiette, poser des couverts, plier une serviette dans un verre propre; bref, le cri cuit est plus facile à faire digérer à son entourage. On explique; on civilise. Cri cru : mouvement de rage. Je n'ai pas été en colère depuis décembre. Je n'ai pas envie de me fâcher, en ce moment. Il y a peu de brusquerie en moi. J'ai beau aller à la pêche des colères intérieures, je n'en ai pas. Je ne peux pas inventer une fausse colère, une humeur qui n'existe pas. Il coule de la douceur, presque de la mollesse, et un goût pour la contemplation, dans mes veines. C'est une soupe à la betterave additionnée de crème fraîche.
C'est
pourquoi je lis Aristote.
Tous
les hommes désirent naturellement savoir ; ce qui le montre, c'est
le plaisir causé par les sensations, car, en dehors même de leur
utilité, elles nous plaisent par elles-mêmes, et, plus que toutes
les autres, les sensations visuelles. En effet, non seulement pour
agir, mais même lorsque nous ne nous proposons aucune action, nous
préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. La cause en
est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir
le plus de connaissances et nous découvre une foule de différences.
Aristote, Métaphysique, A, 980a, Trad. Tricot, Ed. Vrin. Et je
prends plaisir, le rose de la betterave en moi, à lire, et à
savourer Aristote. C'est un légume-racine. Je me sens légitime dans
ma contemplation. Cri-cru. Bibliothèque des représentations. Arbre
des idées, qui classe et repose. Goût du regard.
La
foule des différences se presse. Elle prend le tramway. Les gens
sont aussi différents que les fruits et les légumes. Ils ont toutes
les couleurs, des formes étranges, se meuvent comme des nuages. La
plupart sont cuits. Et puis il y a un petit bonhomme que je regarde
(comment son cri n'attirerait-il pas l'attention?), hurlant, trop
chaud dans sa combinaison trop grande, tout rouge, cassant les
oreilles de toute la rame, pas encore civilisé. C'est la betterave
initiale. On reprend tout à zéro. Cri-cru.