jeudi 7 janvier 2016

Réclamation

Monsieur,

Nous sommes le 1er janvier d'une nouvelle année et j'attends toujours. A mon réveil j'ai regardé par la fenêtre. J'avais enfin réussi à décoller mes paupières passablement engluées par une nuit de beuverie et m'étais débarrassé de ma gueule de bois d'ébène – pourquoi d'ébène  me direz vous? Pour vous faire mesurer l'intensité de notre désarroi en ce matin tout nouveau. J'ai scruté mon ciel mouillé d'une fine pluie froide et sinistre parce qu 'elle me rentre dans les os insidieusement la perverse et me plonge dans son monde de pleureuse.

J'attends toujours monsieur ce que tout le monde souhaite, ce qui fera de cette année maussade, une bijou de gaieté et de joie : de l'humain, monsieur. Oui, humain de humus, la terre où l'on a soufflé une âme paraît-il et il paraît même que nous serions des petits privilégiés parce que les seuls à en avoir une. Imaginez donc ma joie quand j'ai reçu vers minuit mon lot de bonne et heureuse année. J'y croyais dur comme fer. Pourquoi cette année plutôt qu'une autre ? Parce que pardi, un point c'est tout. Parce que je dois avoir la mémoire courte. J'ai dû penser pareil tous les 1er janvier. La première fois remonte quand ado je vous parlais déjà de mes doutes - ça me revient un peu quand même mais vous ne vous rappelez pas bien sûr de ce garçon boutonneux désemparé par une voix pas encore totalement muée et doutant de tout, même de la réalité de son ombre. Il vous demandait un peu de considération et de compassion pour adoucir son acné rougeoyante, un peu de compréhension face à ce monde qui lui semblait déjà brinquebalant.
Aujourd'hui encore je réitère mes réclamations. Chez vous le SAV n'est pas terrible. Sûr de la légitimité de ma requête, je m'attendais à un changement radical et cela immédiatement, sans délai et plus vite que ça encore et pourtant je me méfie des promesses qui n'engagent que ceux qui etc, etc... Vous avez saisi, je pense, l'objet de la présente – comme on dit dans tous les manuels de savoir écrire. Je me plains par anticipation, par expérience aussi . J'ai attendu, attendu et rien ne changeait vraiment sinon la naissance de quelques rides rajoutées aux précédentes.

Bref je revendique du bon, du nouveau , du généreux, de l'amour, de la beauté, de la grâce, du beau temps, des hommes responsables, une terre heureuse, un monde qui marche comme il faut sur ses deux jambes, tourne rond si vous préférez et cette fois ci pas d'entourloupes je vous prie. Rappelez vous, je vous avais fait les mêmes remarques l'année dernière mais vous ne m'avez pas écouté. On voit le résultat. Pas la peine de vous faire un dessin ni de lister toutes les embardées de la machine.

Vous nous livrez une terre en bon état de marche, dites vous avec de belles saisons, un petit climat auquel on s'est habitué depuis des siècles et soudain vous changez ça, vous vous dites tiens si je leur envoyais un petit réchauffement climatique juste pour voir, pour les dix mille ans à venir comme ça sans nous avertir ou si peu. Je vous soupçonne même de vous marrer en douce. Et quand on vous rétorque : vous avez vu le résultat, les ours blancs, la banquise les inuits, vous répondez : contactez notre SAV. J'ai contacté votre SAV et je ne suis pas content du tout de sa réponse : « nous avons analysé le dysfonctionnement que vous nous avez signalé, mais nous n'avons malheureusement pas pu conclure à un défaut de fabrication. Le problème provient d'une erreur de manipulation qui vous incombe ». Alors là je n'ai pas du tout apprécié. Il fallait construire plus solide, et puis la garantie n'est pas terminée alors qu'est ce que ça vous coûte de me changer ce tas de terre qui hoquette. On me rétorque : c'est de votre faute vous avez abusé du carbone, vous avez bouffé du charbon, du pétrole jusqu'à plus soif. Consultez le mode d'emploi. Nous n'y pouvons rien et il ne peut y avoir d'échange car vous n'avez pas utilisé l'appareil correctement ni suivi nos recommandations malgré nos nombreuses mises en garde etc. C'est proprement scandaleux. J'ai payé pour la bonne marche d'un produit et j'exige qu'on me le remplace. Faites quelque chose vous qui êtes le patron.

Puis je vous signale aussi que certaines de vos créatures humaines se sont très mal comportées l'année déjà dernière, suivez mon regard : Paris le Bataclan par exemple. Ça me fait de la peine, je suis déçu. Je croyais sincèrement en vous j'étais même prêt à me damner pour vous et vous, vous avez fait preuve d'une mauvaise foi ridicule en nous balançant des illuminés qui se réclament de votre groupe. Ils sont de plus en plus nombreux et d'obédiences diverses, tous aussi allumés les uns que les autres et moi ça me gâche ma nouvelle année – à moins que ce ne soit le champagne... Il va falloir vous retrousser les manches et dare- dare.

D'accord je reconnais que nous les humains sommes de grands enfants, on n'a pas trop ménagé notre jouet mais à notre décharge qu'est ce que vous avez fait pour nous en empêcher ? Vous vous êtes peut être exprimé à travers la bouche de vos subalternes, vous nous avez fait part d'un certain mécontentement, qu'il fallait revoir notre façon de jouer, être plus respectueux de nos affaires, plus soigneux, plus ordonnés aussi. Paroles, paroles pieuses mais sans effet vous vous en rendez bien compte. Vos mises en garde n'ont servi en rien. Quand je dis VOS mises en garde, ce sont plutôt celles de vos franchisés pas toujours très crédibles d'ailleurs – il n'y a qu'a voir leur mode de vie, leurs petits penchants de travers. Vous avez un an pour me convaincre. C'est plus qu'il n'en faut pour un guide aussi puissant que vous. Il vous suffit de vouloir. Je veux encore croire en vous.

Avec tous mes vœux de réussite pour le projet que nous avons en commun.

Un homme encore confiant et qui met tout ses espoirs en vous.

Janvier de n'importe quelle année.