Monsieur,
Nous
sommes le 1er janvier d'une nouvelle année et j'attends toujours. A
mon réveil j'ai regardé par la fenêtre. J'avais enfin réussi à
décoller mes paupières passablement engluées par une nuit de
beuverie et m'étais débarrassé de ma gueule de bois d'ébène –
pourquoi d'ébène me direz vous? Pour vous faire mesurer
l'intensité de notre désarroi en ce matin tout
nouveau. J'ai scruté mon ciel mouillé d'une fine pluie froide et
sinistre parce qu 'elle me rentre dans les os insidieusement la
perverse et me plonge dans son monde de pleureuse.
J'attends
toujours monsieur ce que tout le monde souhaite, ce qui fera de cette
année maussade, une bijou de gaieté et de joie : de l'humain,
monsieur. Oui, humain de humus, la terre où l'on a soufflé une âme
paraît-il et il paraît même que nous serions des petits
privilégiés parce que les seuls à en avoir une. Imaginez donc ma
joie quand j'ai reçu vers minuit mon lot de bonne et heureuse année.
J'y croyais dur comme fer. Pourquoi cette année plutôt qu'une
autre ? Parce que pardi, un point c'est tout. Parce que je dois
avoir la mémoire courte. J'ai dû penser pareil tous les 1er
janvier. La première fois remonte quand ado je vous parlais déjà
de mes doutes - ça me revient un peu quand même mais vous ne vous
rappelez pas bien sûr de ce garçon boutonneux désemparé par une
voix pas encore totalement muée et doutant de tout, même de la
réalité de son ombre. Il vous demandait un peu de considération et
de compassion pour adoucir son acné rougeoyante, un peu de
compréhension face à ce monde qui lui semblait déjà
brinquebalant.
Aujourd'hui
encore je réitère mes réclamations. Chez vous le SAV n'est pas
terrible. Sûr de la légitimité de ma requête, je m'attendais à
un changement radical et cela immédiatement, sans délai et plus
vite que ça encore et pourtant je me méfie des promesses qui
n'engagent que ceux qui etc, etc... Vous avez saisi, je pense,
l'objet de la présente – comme on dit dans tous les manuels de
savoir écrire. Je me plains par anticipation, par expérience
aussi . J'ai attendu, attendu et rien ne changeait vraiment
sinon la naissance de quelques rides rajoutées aux précédentes.
Bref
je revendique du bon, du nouveau , du généreux, de l'amour, de la
beauté, de la grâce, du beau temps, des hommes responsables, une
terre heureuse, un monde qui marche comme il faut sur ses deux
jambes, tourne rond si vous préférez et cette fois ci pas
d'entourloupes je vous prie. Rappelez vous, je vous avais fait les
mêmes remarques l'année dernière mais vous ne m'avez pas écouté.
On voit le résultat. Pas la peine de vous faire un dessin ni de
lister toutes les embardées de la machine.
Vous
nous livrez une terre en bon état de marche, dites vous avec de
belles saisons, un petit climat auquel on s'est habitué depuis des
siècles et soudain vous changez ça, vous vous dites tiens si je
leur envoyais un petit réchauffement climatique juste pour voir,
pour les dix mille ans à venir comme ça sans nous avertir ou si
peu. Je vous soupçonne même de vous marrer en douce. Et quand on
vous rétorque : vous avez vu le résultat, les ours blancs,
la banquise les inuits, vous répondez : contactez notre SAV.
J'ai contacté votre SAV et je ne suis pas content du tout de sa
réponse : « nous avons analysé le dysfonctionnement que
vous nous avez signalé, mais nous n'avons malheureusement pas pu
conclure à un défaut de fabrication. Le problème provient d'une
erreur de manipulation qui vous incombe ». Alors là je n'ai
pas du tout apprécié. Il fallait construire plus solide, et puis la
garantie n'est pas terminée alors qu'est ce que ça vous coûte de
me changer ce tas de terre qui hoquette. On me rétorque : c'est
de votre faute vous avez abusé du carbone, vous avez bouffé du
charbon, du pétrole jusqu'à plus soif. Consultez le mode d'emploi.
Nous n'y pouvons rien et il ne peut y avoir d'échange car vous
n'avez pas utilisé l'appareil correctement ni suivi nos
recommandations malgré nos nombreuses mises en garde etc. C'est
proprement scandaleux. J'ai payé pour la bonne marche d'un produit
et j'exige qu'on me le remplace. Faites quelque chose vous qui êtes
le patron.
Puis
je vous signale aussi que certaines de vos créatures humaines se
sont très mal comportées l'année déjà dernière, suivez mon
regard : Paris le Bataclan par exemple. Ça me fait de la peine,
je suis déçu. Je croyais sincèrement en vous j'étais même prêt
à me damner pour vous et vous, vous avez fait preuve d'une mauvaise
foi ridicule en nous balançant des illuminés qui se réclament de
votre groupe. Ils sont de plus en plus nombreux et d'obédiences
diverses, tous aussi allumés les uns que les autres et moi ça me
gâche ma nouvelle année – à moins que ce ne soit le champagne...
Il va falloir vous retrousser les manches et dare- dare.
D'accord
je reconnais que nous les humains sommes de grands enfants, on n'a
pas trop ménagé notre jouet mais à notre décharge qu'est ce que
vous avez fait pour nous en empêcher ? Vous vous êtes peut
être exprimé à travers la bouche de vos subalternes, vous nous
avez fait part d'un certain mécontentement, qu'il fallait revoir
notre façon de jouer, être plus respectueux de nos affaires, plus
soigneux, plus ordonnés aussi. Paroles, paroles pieuses mais sans
effet vous vous en rendez bien compte. Vos mises en garde n'ont servi
en rien. Quand je dis VOS mises en garde, ce sont plutôt celles de
vos franchisés pas toujours très crédibles d'ailleurs – il n'y a
qu'a voir leur mode de vie, leurs petits penchants de travers. Vous
avez un an pour me convaincre. C'est plus qu'il n'en faut pour un
guide aussi puissant que vous. Il vous suffit de vouloir. Je veux
encore croire en vous.
Avec
tous mes vœux de réussite pour le projet que nous avons en commun.
Un
homme encore confiant et qui met tout ses espoirs en vous.
Janvier
de n'importe quelle année.