Il
y a ceux qui se taisent, baissent les yeux, vivent dans le silence de
leur tristesse, le lendemain se lèvent, se douchent, se
regardent dans leur miroir, sourient au monde un peu gris qui se
réveille avec eux, dans l'odeur d'une amertume triste ; ils se
saluent, se tiennent par la main, se soutiennent d'un regard
prolongé, cherchent dans la femme ou l'homme qu'ils croisent, le
signe d'un encouragement ; ils marchent avec le souvenir
douloureux d'une blessure à cicatriser.
Ils
ne parleront de rien, éviteront de revenir sur le drame, d'en
retenir la fascination lancinante, s'attacheront religieusement à
répéter des gestes quotidiens comme se promener avec le moins
d'arrière pensée qu'ils le peuvent, s'aimeront avec un peu plus de
force, celle qu'on puise dans la douleur, la crainte. Jamais se
disent-ils on ne pourra nous dérouter, jamais on ne pourra nous
séparer. La mort n'est rien quand on est juste avec soi même, quand
on s'abstient de détourner son regard devant l'étranger.
Ils
parlent avec leur voisin de tout et de rien parce que chacun sait que
l'essentiel est de briser le silence, ils boivent un café à leur
terrasse habituelle parce qu'il faut maintenir à tout
prix, le fil ténu et sacré qui nous lient ; ils rient de la
blague douteuse d'un collègue à l'humour grossier parce que chacun
sait que l'on doit résister, ils vont flâner dans les ruelles d'un
jour inondé de lumière ou dans la saveur tiède d'une nuit
réparatrice; ils se retournent pour suivre la danse d'une robe
légère avec le soleil complice et la dame sourira parce qu'elle
sait où vont les regards des jeunes mâles. Comme d'habitude, elle
en sera avantageusement outrée. Ils s'ennuieront comme d'habitude,
s'émerveilleront comme d'habitude, ils se chamailleront comme d'habitude,
se rassembleront dans les fêtes estivales, tendront la main – mais
pas l'autre joue, plus que de coutume.
Plus
que de coutume, une pesanteur nouvelle en mémoire, dont ils ne
peuvent s'alléger.
Et tous ensemble ils couvriront de leur voix, les chants désespérants.
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