Il
est 4 heures et la ville est en sommeil profond. Une piste de danse
vide pleure sa musique avec autour, dans l’ombre des lumières
nocturnes, quelques fantômes prisonniers de l’alcool ou d’autres
matières oniriques. Une ombre tangue encore entre piste et bar.
Hésitante. Elle s’avance, chavire, se redresse puis tangue à
nouveau. Entre fantômes et soûlards, elle s’avance et danse
quelque part dans son esprit océan. Elle parle avec des absents que
la musique appelle autour d’elle. Elle lutte matelot abandonné à
la tempête de ses souvenirs. Puis la musique s’arrête. La lumière
la confond. Ses yeux l’ont trahi et les têtes tout à l’heure
fantomatiques la dévisagent. Vedette bien malgré elle, elle fuit,
esquive les regards et se réfugie dans les espaces ombrés des
boxes.
Elle a traversé le champ de ma conscience, interpellé mon regard, questionné ma pensée. Qui est- elle ? Quel âge a-t- elle ? Brune. Enroulée dans une veste de laine usée sur le comptoir des bars. Elle déglutit quelques phrases accompagnées de gestes lourds. Prend à témoin un siège où quelque épave vient de couler après la dernière tournée. Sa voix rouillée par le passage répété des alcools les plus forts fait surface dans les silences musicaux. D’où vient-elle? Enfant de nulle part. Quel est son chemin ? Quelle vie poursuit-elle? Ses cheveux un instant repoussés en arrière découvrent un visage d’une blancheur extrême et la lumière jaune malade de cet endroit sans nom révèle le texte de ses souffrances écrit à même la peau.
Texte, © Joël Carayon