
Puis
le nuage a faibli. Mon ange aussi. Elle s'est fait un sang d'encre
trop longtemps, pour la vie, pour moi, pour ses enfants. L'encre est
restée dans son sang. Au début juste une petite dose bleue sur fond
rouge, toute petite écriture sous sa peau d'ivoire. Le soir, je
rentrais pour la laver, lui faire à manger parce qu 'elle
pouvait pas, pour mettre une chanson qu'elle entendait pas parce
qu'elle dormait et je l'écoutais pour elle, pour allumer un feu de
cheminée qu'elle aimait plus parce qu'elle pouvait plus supporter la
chaleur vivante des flammes sur le bois rougeoyant, brûlures rouges
et bleues comme son sang. Je l'aimais. Je l'aimais tout le temps. Je
l'aimais au quotidien. Je l'aimais quand je lui racontais le ciel au
bleu de ses yeux, sur ma vie pour toujours. Je l'aimais dans son
sourire attristé. Je la veillais, je caressais sa peau dans son
sommeil avec la lune comme compagne et confidente. Peu à peu l'encre
a bu tout le sang et le bleu de ses yeux s'est noyé dans ses veines.
Alors la rue est revenue de petits verres en petits verres dans notre
foyer, au centre de ma vue, la rue et sa veine aux couleurs de sa
vie. Elle s'éloignait toujours plus, fréquentait un monde sans moi
avec du froid tout autour je crois, revenait de moins en moins de son
sommeil. Puis elle n'est jamais plus revenue. Mon ange non plus. Au
début un tout petit cancer, une toute petite leucémie, soyeuse et
douce qu'elle a chérie, juste un petit animal ronronnant dans son
sang qu'elle a nourri et qui boira toute sa vie. Elle est partie et moi un peu avec elle. Maintenant je bois du bleu qui n'est
pas de ciel, un sang qui n'est pas le sien.
Texte, © Joël Carayon
Texte, © Joël Carayon