Il
faut te perdre dans la profondeur et la majesté des ruelles d'ombres
que traversent des pans de lumières déchirés par le branchage
léger de quelques pins. Ma ville grouille de ce mélange de campagne
et de voix mais toujours respire le calme voluptueux, la délicate
fragilité d'une musique douce, avec dans son port une pointe de
mélancolie.
Je
voudrais te dire que je l'aime même si elle est méchante dans ses
nuits de beuveries ou quand une folie de meurtres s'empare d'elle
sous la lune surprise. Je voudrais te dire que je l'aime même quand
elle se répand fumeuse et orgueilleuse dans mes bois d'haleine
fraîche.
Je
voudrais te dire fièrement, voilà Ma Ville dans son habit de
lumière sous son ciel pur d'un bleu tranchant avec ses avenues
gorgées de nos passages réguliers, Ma Ville dans son habit de
lumière- et ses excès d'ozone.
Avec
sa misère qui flotte cachée dans les impasses de nos vies, ses
pleurs, ses sanglots dans nos appartements, avec ses voix qui
explosent, ses chants d'allégresse, ses fêtes, le flot de mes
semblables qui court, danse, crie, rie, parle, bavarde, dit des mots
d'amour, des mots de tous les jours, des paroles creuses, des
mensonges et des songes qui la rongent, l'assaillent nuit et jour. Et
puis les chuchotements, les murmures sous les lampadaires jaunes.
Avec ses temples, ses cathédrales consacrés à la pratique
consumériste, étalant leurs offres rutilantes à des yeux pleins
d'une ferveur quasi religieuse.
Ma
Ville avec ses clochards, leurs chiens, leurs chants sur sa grande
place et ses allées de platanes verdoyants, l'étrange rondes des
dealers et de leurs clients sous le parvis d'une église.
Avec
ses essaims de jeunes qui bourdonnent à la terrasse des cafés,
s'aiment, se rassemblent, se retrouvent, se touchent la main,
déambulent dans leurs costumes de jeunes .
Et
la clameur qui résonne, rebondit de façades en façades, éclate
d'un rire joyeux, se mélange à l'accordéon roumain, la guitare
classique. Toute la musique de la rue.
Ma
ville avec ses attroupements de hip-hop, ses mendiants qui prennent
la pose d'une infini tristesse professionnelle, son fou qui joue
devant la foule des passants comme dans un concert, avec ses femmes
qui ondulent dans ses rues aux regards langoureux, avec ses
clandestins qui rasent ses murs à la nuit tombée, avec ses drames
et ses dames de compagnies, ses tristes travestis, ses vieux et leurs
orages de fin de vie.
Je
voudrais te dire que je l'aime. Je voudrais te dire que je l'aime
quand elle fait la belle devant les files de touristes, quand elle
danse intellectuelle au mois de juin, quand elle s'affiche dans ses
Festivales avec sa foule qui bestialement avale des litres et des
litres de vins, se soûle allègrement sous les flonflons de quelques
musicos en mal de contrats. Mais le pourrais-je ?
Je
l'aime quand elle se penche sur mon épaule tendrement posée sur son
rail et qu'elle glisse silencieuse vers la mer, je l'aime quand elle
sourit et se met à rêver sous le couvert de ses allées, je l'aime
quand il fait chaud et que ses enfants lui tendent la main, je
l'aime quand elle se pare de ses bijoux nocturnes, expose sa gamme de
concerts en sous bois, je l'aime quand elle s'endort paisiblement
derrière ses volets fermés, je l'aime quand les autres sont
couchés, que ses maisons me parlent, que ses monuments s'agitent
quand minuit sonne, quand nos voix gambadent de portiques en
portiques, quand ses cinémas s'éteignent, qu'il ne reste plus que
toi, qu'il ne reste plus que moi à rêver de cette ville qui
n'existe pas, de cette ville éparpillée dans de multiples villes et
qu'un soir je construits pour toi, pour moi, ni trop belle ni trop
sale pour qu'elle est l'air bien en chair.
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