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L'ombre
du
Vel'd'Hiv
flotte. Lourdement chargée d'une volonté d'éradiquer
le blanc
rayé de noir ou bien le
rouge
sur peau mate. L'africain
ou le
juif.
Au
Cambodge ou ailleurs.
Un
maître. Un guide –Sic Hitler, ou bien mon grand copain ou bien
Alain ou bien mon Dieu ou bien, ou bien:
-Vas-y, envoie 250 volts…
Il peut en mourir? Exécute j'en prends la responsabilité. Je fais.
Il me l'a ordonné. Je lui donne mes craintes et ma culpabilité.
Je
suis calme. Mon esprit plat comme la surface d'un lac, lisse comme un
miroir. Tranquille comme un ciel bleu. Comme tout un chacun. Comme
toi. La Radio, la télé savent et me disent. Moi j'obéis. Pourquoi
s'affoler? Je frappe quand ils l'exigent. Des remords!? Et pourquoi?
Pas de honte non plus. Le geste machinal de la main du côté de la
soumission. Je frappe dans les tranchées, les camps de
concentration, dans les bagnes, la rue, la cour de mon école.
J'extermine. Ordinairement je massacre, je dénonce, je pousse au
suicide. J'excelle de zèle? Peut-être.
-Milgram.
La soumission LIBREMENT consentie. Librement.
Je
conduis mon voisin, mon ami, mon collègue qui me conseille, me
soutient. Il riait avec moi. Nous avons trinqué ensemble à l'ombre
de son parasol, au bord de son jardin. Je le préviens: Ils arrivent!
Ils viennent pour te tuer.
Dans
«Ils» il y a moi, mon autre moitié de moi. Mais nous nous
entendons très bien nous qui ne faisons qu'un. Je tue comme je
travaille. De 9 heures à 12 heures et de 14 à 17. Avec une pause
entre midi et deux, j'y tiens! Je tue professionnellement quand ils
me le demandent. Je suis bien dans la norme de production, pour moi
pas d'amendes. Moi le romain, l’allemand, l'anglais, le français,
le houtou, moi aux multiples visages, le bourreau assis à la table
de sa victime, qui plaisante avec ses enfants.
Aujourd'hui
je les découpe à la machette, je fournis les allumettes de leur
bûcher, je les pousse au suicide.
Je
rationalise. Noirs? Ceux sont des singes. Incas? Ils n’ont pas
d’âme. Gris? Dangereux ou paresseux. Je suis celui qui cajola
Gégène au nom de la loi du moment. Il faut tuer me dit-on,
bastonner le tzigane? J’en suis. Femme? Je lapide.
La
Chose m’habite? Oui mais pas plus ni moins que toi. Je suis soluble
dans l’anonymat, délayé dans la norme. Je suis le bras décervelé
de celui qui me commande, homme ou média. Je suis un mec ordinaire
ne t’en déplaise! Je suis la main qui nourrit les pigeons sur la
place. Qui prends le soleil aux terrasses des cafés quand le
printemps réchauffe l’asphalte. Je suis le croyant. J’épure.
J’embrasse ma compagne lorsque je rentre, raconte une histoire à
mon fils ou ma fille au coucher. Je suis fidèle ni plus ni moins que
toi. Je regarde le sport à la télé, j’aime lire aussi. Je vais
au musée quelques fois. Je passe mes vacances en bord de mer, à la
montagne. Je fais du sport. D’ailleurs il faudra que je me
surveille, j’ai pris du poids ces temps-ci.
Et
toi qui as marché dans la Nuit et le Brouillard, Collabo ou
résistant? Aujourd’hui quelle haine te nourrit intimement? Quel
massacre à légitimer?
Rien
de tout cela. Simple fonctionnaire, petit commerçant, ouvrier du
bâtiment ou d’ailleurs, riche PDG ou artiste renommé, retraité
ou vieillard, jeune lycéen la vie entre les dents… gentils
Gremlins.
Pourvu
qu’il n’y ait pas de loup!
© texte propriété Joel Carayon
© texte propriété Joel Carayon
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